Ouverture de la chasse
Avec la chaleur estivale sont arrivées des hôtes familiers mais néanmoins indésirables à la maison : les mouches.
Ces petits diptères, somme toute sympathiques à l’unité, grouillent tant dans la maison qu’ils en sont devenus insupportables. Il faut dire que dans notre joli petit village de campagne nous sommes bien entourés, avec âne, poneys, chevaux, vaches, poules, canards, chèvres, brebis et cochons... Évidemment, nous sommes ravis de déguster des produits locaux délicieux, mais il y a des contre-parties – en plus des rondeurs et kilos superflus et disgracieux résultant de notre amour de l'Aveyron - comme la multiplication inconsidérée de ces mouches…
Là, tout naturellement, l'aveyronnais sourit et explique patiemment au néo-rural que forcément « qui dit ferme dit mouches » ! Certes, j'en conviens aisément… Mais je suis sûre et certaine que néo-rurales ou aveyronnaises, les femmes sont le plus souvent les premières concernées par le ménage, notamment le nettoyage des vitres. Or qui dit ferme dit mouches mais aussi crottes de mouches partout (vitres, sol, meubles), sans parler de la table à peine dressée et couverte d'insectes peu appétissants… Bref, désolée pour mon pragmatisme qui va peut-être choquer quelques féministes, mais il faut se rendre à l'évidence : le combat contre les mouches et leurs effets indésirables nous concerne tous et toutes. Cependant l'aveyronnais a plus d'un tour dans son sac et rappelle doctement la liste des outils réduisant le risque d'invasion par les mouches, testés et approuvés dans sa famille : les produits insecticides plus ou moins naturels, en bombe aérosol ou en diffuseur, les moustiquaires à installer à toutes les portes et fenêtres du logement, les plantes insectivores vendues en jardinerie, qui ont de surcroît l'avantage d'épater les petits comme les grands, sans oublier les grands classiques indémodables et surtout totalement inoffensifs pour notre chère planète et vers lesquels nous avons sagement porté notre choix.
Bien sûr, nous pourrions utiliser des produits efficaces qui font PSCHITT contre ces petits animaux qui font BZZZ, mais notre félin domestique appréciant ces insectes comme de véritables friandises, et notre charmante fillette goûtant régulièrement ce que ledit félin mange, nous redoutons l’ingurgitation par notre progéniture de ces produits certes goûtus – probablement - mais non homologués par l'OMS... Non pas que nous craignions que notre petit bout de femme tombe comme une mouche, mais à dire vrai, nous ne considérons pas que des mouches empoisonnées fassent raisonnablement partie d’un régime équilibré de petit humain ni même d'un vieux matou.
Nous avons bien fait l'acquisition de quelques Drosera que nous avons disposées de ci de là dans les pièces stratégiques (cuisine et salle à manger). Malheureusement, ces petites plantes épatantes, aux feuilles rondes délicatement perlées, ne peuvent soustraire plus d'un insecte par semaine. Largement insuffisant pour venir à bout de notre maudite invasion estivale !
Nous avons donc opté pour un élément intemporel dans la lutte contre les mouches, surtout en zone rurale : le fameux ruban-colle ! Outre son élégance sans cesse renouvelée, puisque neuve, cette guirlande encore légèrement torsadée pendouille nonchalamment tout en luisant, elle se couvre ensuite peu à peu de points noirs tantôt bruyants tantôt silencieux, au rythme saccadé incertain proche d'une musique expérimentale étrange. Ce ruban-colle est redoutable pour les mouches si tant est qu’il est placé de façon judicieuse. En effet, accroché au-dessus d’une poubelle, d’une table, à l’abri des courants d’air, ce ruban révolutionnaire peut aisément piéger en quelques jours des centaines d’insectes ! Cet ustensile est toutefois insuffisant quand le renouvellement de la population de mouches est perpétuel... De plus, si l’on tarde à éliminer les rubans chargés d'insectes piégés, des mouches mortes et collantes peuvent se détacher - la colle sèche ? ou peut-être que les ailes se cassent ? - et il ne reste plus qu’à ramasser ces corps inanimés tout gluants... Hélas, la colle tache la table, le carrelage... Bref, le ruban-colle est indispensable mais insuffisant - je le répète.
Nous avons donc également choisi un autre outil tout aussi indispensable et efficace : la tapette à mouches. La nôtre est particulièrement de bon goût, la "raquette" ayant la forme d’une mouche géante - ce qui apporte tout de même beaucoup de caché par rapport à la forme traditionnelle. En outre, il me semble que la tapette en forme de mouche est encore plus efficace que la forme carrée classique. Et oui, c’est évident – et très certainement étudié et approuvé par les plus éminents éthologues spécialistes des diptères - les mouches croient voir une de leur congénère fondre sur elles - ce qui est tout à fait probable car c’est une des activités préférées des mouches, observez-les bien - elles ne se méfient donc pas ! Cela permet ainsi de tuer beaucoup plus de mouches ! Bien sûr, les mouches ne sont pas si bêtes que nous pourrions le croire, car au bout d'une minute de matraquage à la tapette, se rendant compte du carnage, elles évitent alors le centre des fenêtres, où tape de façon privilégiée l’ustensile - dans les coins, c’est beaucoup plus délicat et beaucoup moins meurtrier. Il faut donc patienter de nouveau quelques minutes, le temps que les insectes, par manque de vigilance, retournent au centre du vitrage. Alors la tapette s’active de nouveau.
L’usage de ce second outil est l’occasion de faire des parties en famille mémorables. On s’encourage les uns les autres, on se donne des conseils sur la tactique à adopter, le bon mouvement pour le gaucher, le revers pour le droitier à améliorer, etc... En somme, c’est une activité inter-générationnelle très intéressante : écologique, sportive, stratégique, collective, quelqu’un étant chargé de seconder l'expert en tapette en passant la balayette à intervalles réguliers pour collecter les cadavres jonchant le sol, le chat étant quelque peu débordé par la récolte soudaine. D'ailleurs, personne ne souhaite une indigestion de mouches par le minet... Ramasser du vomis d'insectes, non merci !
Ainsi la chasse à la mouche devient un jeu qui non seulement entretient la forme mais également stimule l’esprit coopératif et la cohésion familiale. Les plus âgés et les plus jeunes ne perdent pas une miette du spectacle assuré par le manipulateur de tapette et son adjoint à la balayette. Il faut dire que le public est littéralement captivé par la dextérité, l'énergie et la volonté de fer déployées par les plus courageux chasseurs de mouches, sur une surface assez délicate, qui ne ménage pas les articulations et génère quelquefois des chutes graves et quelques bris de glace. Le suspens est parfois à son comble lorsqu'un seul et unique insecte tient tête pendant plusieurs minutes dans ce combat mortel.
En conclusion, ce sport d'équipe devrait sérieusement être encouragé par l’état, par exemple sous forme de crédit d’impôts... Non ?
Il y a cependant un hic à cette chasse quotidienne. En dépit d'un entraînement quotidien acharné, le score stagne à soixante mouches dégommées en 5 minutes de match, or il semble y avoir toujours autant de mouches chez nous... Alors qui relève le défi ?